SUPPLEMENT Le Potentiel va plus loin avec Ludo Martens Par Le Potentiel Ludo Martens milite au sein duParti du Travail de Belgique. Il a écrit de nombreux ouvrages sur les acteurs de la politique congolaise. C’est le cas de Pierre Mulele et de Laurent-Désiré Kabila. Dans le livre qu’il a dédié à LD Kabila, Ludo Martens a détaillé le maximum d’aspects de son oeuvre gigantesque qui, selon lui, «restera une source d’inspiration inépuisable». Entretien à bâtons rompus avec Ludo Martens. Il y a huit ans, Laurent Désiré Kabila succédait à Mobutu. Quelle lecture faites-vous de la prise du pouvoir par L.D. Kabila? C’était la revanche de l’histoire. L’assassinat de Lumumba a été vengé le 17 mai 1997 par un homme qui avait 20 ans lorsque ce crime fut commis. En 1960, ce jeune homme était déjà un dirigeant renommé de la Jeunesse Balubakat et il était appelé «le général d’Ankoro». Ce jeune a alors juré de venger l’assassinat de Lumumba. Ce jeune homme était Laurent Kabila. En 1964, la grande insurrection populaire, dans laquelle des centaines de milliers de jeunes s’étaient engagés, visait à remettre le Congo sur la voie que Lumumba avait tracée. Mulele en fut l’initiateur et Laurent Kabila, alors 23 ans, était déjà le chef incontesté de la révolution au Kivu. Kabila a toujours gardé la modestie d’un vrai révolutionnaire. L’expérience du maquis du Kivu a montré ses lacunes. Et il est allé, pour cela, en Chine suivre une formation politico-militaire intense. Laurent Kabila est revenu au Kivu en 1967. Et il a créé le Parti de la Révolution Populaire. Il a toujours estimé qu’il fallait lier la lutte politique et la lutte militaire, cette dernière étant la forme de lutte principale, déterminante. Son combat politique et militaire, il l’a mené pendant 33 ans, de 1964 à 1997. Après la victoire de la guerre de libération, Laurent Désiré Kabila dira le 16 mai 1997, au moment où il prenait en main la magistrature suprême : «La guerre de libération dure depuis le 14 septembre 1960». Effectivement, c’est à cette date que la dictature néocoloniale a débuté avec l’élimination politique de Lumumba par Mobutu et Kasa-Vubu. Depuis lors, la résistance, tant politique qu’armée, n’a jamais cessé. Après la défaite de la révolution muleliste, à partir de décembre 1967, c’est Laurent Désiré Kabila qui a maintenu le flambeau de la lutte armée contre la dictature de Mobutu. Et il n’a jamais flanché. La victoire de la guerre de libération était effectivement le résultat de 36 années de résistance politique et militaire contre la dictature néocoloniale mobutiste. Avez-vous connu Kabila avant qu’il ne soit président de la République et qu’avez-vous retenu de lui? Je le connaissais à travers la littérature, avant que des camarades congolais à Bruxelles ne m’aient donné une adresse de contact à Dar es-Salaam. C’est en 1973 que nous avons reçu une première lettre de Laurent Kabila. Puis une deuxième. Ces lettres prenaient trois mois pour arriver. Ecrites au maquis, elles devaient faire un long chemin jusqu’à Dar es-Salaam… En 1979, nous avons invité un seul hôte étranger au congrès de fondation du Parti du Travail de Belgique. C’était Laurent Kabila. Nous voulions, à cette occasion, souligner toute l’importance que nous portions à la solidarité avec les nationalistes et révolutionnaires congolais qui auraient subi l’oppression et la répression de la grande bourgeoisie belge… A ce moment, Kabila nous a invités à visiter Hewa Bora. Le premier à s’y rendre en 1981 fût Philippe Borel, du Comité Zaïre. Mais dès l’année suivante, les conditions de sécurité ne permettaient plus à Kabila d’inviter d’autres camarades européens. A cette époque, nous avons publié plusieurs documents de Kabila, notamment une très longue étude sur les coopératives rurales, qui résumait son expérience de Hewa Bora. Laurent Kabila m’a rendu trois visites à la maison au cours des années 80. Je me rappelle que nous avons longuement discuté de son alliance avec Mungul Diaka et Nguz a Karl I Bond. Kabila expliquait que les conditions militaires ne permettaient plus de mettre la lutte armée comme première forme de lutte. Il fallait mener la lutte politique pour faire connaître aux masses zaïroises l’existence du PRP, son histoire, son programme, ses principes. Kabila avait en fait raison. Mais un peu plus tard, lorsque des cadres du PRP, basés en Europe, prenaient goût à se trouver en compagnie de riches mobutistes, Kabila comprit le danger que son parti courait. Il mit fin à cette alliance. Même quand les circonstances plaçaient la lutte politique en premier lieu, Kabila n’oubliait jamais que la lutte armée est stratégiquement la forme décisive de lutte dans tout pays sous dictature néocoloniale. Un des reproches que l’on fait à Kabila, c’est de ne pas avoir été homme d’Etat. Il est demeuré «maquisard». Qu’en dites-vous? Mais qu’est-ce, un homme d’Etat ? Depuis les 5-14 septembre 1960, le Congo est dominé par une bourgeoisie bureaucratique et compradore, c’est-à-dire une bourgeoisie qui doit sa fortune au contrôle de l’Etat et au pillage des caisses de l’Etat, ainsi qu’à sa fonction d’intermédiaire pour les multinationales et entreprises étrangères. Dans un tel système, sont considérés comme «hommes d’Etat» ceux qui ont été mêlés à la mort de Lumumba, ceux qui ont servi fidèlement les intérêts étrangers, les Kasa-Vubu, les Tshombe, les Bomboko, les Mobutu. Kabila était un homme d’un tout autre calibre, tout comme Lumumba et Mulele, comme Mitudidi et Kibwe Tcha Malenga. Tous sont restés «maquisards» jusqu’à la mort et ils étaient de grands hommes d’Etat révolutionnaires. Votre question insinue qu’on peut bien être révolutionnaire jusqu’à ce qu’on arrive au pouvoir, mais qu’alors il faut se plier aux exigences du monde impérialiste. Il n’en est rien. Il y a de grands révolutionnaires qui sont devenus de grands hommes d’Etat révolutionnaires en gardant toujours l’esprit «maquisard» : Mao Zedong en Chine, Ho Chi Minh au Vietnam et Fidel Castro à Cuba… Quel est le message que vous avez voulu apporter en dédiant un livre à Laurent-Désiré Kabila? Etait-ce un fonctionnaire, un politique, un révolutionnaire ? Kabila a été le plus grand révolutionnaire que le Congo et l’Afrique aient connu. Dans aucun autre pays africain vous trouvez un homme qui a passé l’histoire de 1959 à 2001 comme révolutionnaire conséquent, qui a vécu la période révolutionnaire de 1959-61 et celle de 1964-65, qui a maintenu des bases militaires pendant la période la plus sombre de la dictature néocoloniale mobutiste et qui a finalement réussi à mobiliser les masses de tout le pays pour une guerre de libération victorieuse. Quel est le message du livre ? Pour se libérer, chaque peuple dominé a besoin de modèles à suivre, il doit s’inspirer des hommes et des femmes les plus courageux et intelligents dans la lutte de libération. Il n’y a aucun autre peuple africain qui a une continuité d’hommes révolutionnaires comme le Congo : l’œuvre de Lumumba a été poursuivie par Mulele. Mulele assassiné, Kabila avait déjà repris son œuvre et il l’a continuée jusqu’à la guerre de libération. Dans le livre, nous avons détaillé le maximum d’aspects de l’œuvre gigantesque Laurent Désiré Kabila qui restera une source d’inspiration inépuisable. Le livre est gros de deux millions de caractères et ce n’est pas pour rien. Il est facile de crier «Vive Mzee ! Vive Mzee »! Mais, en revanche, il est bien plus difficile d’assimiler la pensée révolutionnaire de Mzee dans toute sa richesse et sa profondeur. A l’époque, Mobutu criait «Vive Lumumba, héros national!» C’était pour mieux déformer le message de ce grand homme que lui, Mobutu a conduit à la mort. Aujourd’hui, il est facile de crier «Vive Mzee, vive Kabila», dans l’espoir d’arracher un poste. Mais seuls peuvent se dire réellement kabilistes, ceux qui s’efforcent d’assimiler toute la richesse de la pensée politique que Laurent Kabila a formulée pendant ses 41 ans de combat politique. Que voulez-vous dire concrètement? Pour moi, Kabila a été surtout un génie de la politique et de la tactique et un modèle unique de persévérance dans la lutte, aussi bien dans les périodes où la contre-révolution triomphait, dans les périodes où le peuple était abattu et démoralisé que dans les périodes d’essor révolutionnaire. Kabila, comme Kwame Nkrumah, a été formé à l’école du marxisme-léninisme et toute sa doctrine tourne finalement autour de quelques questions fondamentales. Est-ce qu’il faut maintenir l’Etat néocolonial, instauré après l’élimination de Patrice Lumumba, un Etat répressif pour le peuple, un Etat au service d’intérêts étrangers ? Ou est-ce qu’il faut bâtir un Etat tout nouveau au service des masses populaires et de la cause nationale, un Etat protégeant les masses et réprimant les forces au service de la domination étrangère? Est-ce qu’il faut maintenir la démocratie néocoloniale qui permet aux puissances extérieures et aux grands bourgeois congolais, qui s’enrichissent en collaborant avec ces puissances, de manipuler les élections? Ou est-ce qu’il faut créer une autre forme de démocratie, nationale et populaire, où les masses populaires peuvent effectivement décider quelles femmes et quels hommes défendront leurs intérêts ? Est-ce qu’il faut créer un système démocratique qui permet aux masses de contrôler leurs élus et de les sanctionner lorsqu’ils trahissent leur confiance? Est-ce qu’il faut maintenir le système économique néocolonial où toutes les décisions doivent recevoir le «fiat» des puissances néocoloniales et de leurs institutions financières ? Ou est-ce qu’il faut créer des alliances mutuellement avantageuses avec tous les pays qui veulent coopérer avec le Congo et cela dans le but de jeter les fondements d’une industrie nationale indépendante et puissante et d’une agriculture modernisée et à haute productivité? Ces questions, je les ai examinées en détail dans un long chapitre consacré aux Comités du Pouvoir Populaire, le projet de société de Mzee Kabila. Etes-vous convaincu que la rencontre de Laurent Désiré Kabila avec Che Guevara est pour quelque chose dans son cheminement politique ? En 1967, après son départ du Congo, Che Guevara, a dit que Kabila était un chef révolutionnaire qui possèdait à la fois un cerveau clair et une capacité de raisonnement développée, qu’il avait une personnalité de dirigeant. Che ajouta que Kabila était habile dans ses relations avec la population, qu’il était un dirigeant capable de mobiliser la masse. Guevara a aussi noté les lacunes de ce jeune révolutionnaire. Il a écrit : «Il est important d’avoir le sérieux révolutionnaire, une idéologie qui guide l’action, un esprit de sacrifice qui accompagne ses actes. Jusqu’à présent, Kabila n’a pas démontré posséder une seule de ces qualités. Il est jeune et il peut changer.…» Et il faut dire que Laurent Kabila a tenu compte de ces remarques critiques du grand révolutionnaire. A 24-25 ans, Kabila s’est rendu en Chine dans l’académie politico-militaire de Nanjing où Mulele s’était instruit trois ans auparavant. Mulele n’y a fait que deux mois et demi, Kabila y a étudié pendant six mois et 21 jours… Kabila y a suivi une formation idéologique intense à partir de l’expérience de la révolution chinoise, elle-même inspirée de la doctrine marxiste-léniniste. Laurent Kabila est retourné au Congo en 1967 complètement transformé et, le 24 décembre 1967, il y a fondé le Parti de la Révolution Populaire. A partir de cette date jusqu’à son assassinat, Kabila s’est montré digne de la confiance du Che et du peuple congolais. Qu’est-ce qui a rapproché Kabila, Kagame et Museveni ? Je pense que la question doit être complétée : qu’est-ce qui a rapproché Kabila et les Etats-Unis, dos Santos, Mugabe, Kagame et Museveni? Ce sont les partenaires de l’alliance internationale que Laurent Kabila a forgée pour être en mesure de développer une mobilisation populaire générale et renverser la dictature mobutiste … Kabila est resté fidèle à la thèse que la dictature néocoloniale, imposée par les armes, ne pourra être renversée que par une insurrection populaire. Tous les autres «changements» ne toucheront que la façade, mais non la nature du régime. Un bouleversement total, révolutionnaire, exigeait d’abord une crise profonde du système mobutiste et ensuite la disponibilité d’alliés, prêts à soutenir le peuple congolais dans sa lutte de libération. C’est seulement en 1996 que se présente cette situation exceptionnelle. L’échec fracassant de la Transition, dont les deux figures clés ont été Mobutu et Tshisekedi, a poussé la population à chercher une autre voie pour se débarrasser de la dictature. En 1990, aussi bien la France que les Etats-Unis avaient déclaré que les jours de Mobutu étaient comptés. Mais l’opportunisme des politiciens de la transition a fait qu’ils ont voulu garder Mobutu, quoique Paris et Washington leur «conseillaient» d’aller jusqu’au bout de la lutte… Après le génocide au Rwanda, la France «réhabilite» Mobutu parce qu’elle avait besoin de son soutien pour renverser le nouveau régime à Kigali et y faire revenir «les hommes de Paris». Alors les Américains ont décidé de soutenir la lutte pour renverser Mobutu, ce qui devait leur apporter une grande sympathie populaire: le rival français éliminé, les Etats-Unis auraient un contrôle complet sur le Congo… Quant au nouveau pouvoir rwandais, il devait, pour assurer sa survie, mettre fin à la présence de 1.000.000 à 1.500.000 hutu, lourdement armés et placés le long de la frontière du côté zaïrois. Et cela contre toutes les règles internationales. Museveni, quant à lui, a soutenu la lutte de Kabila parce tous les deux étaient des amis de longue date, parce qu’il connaissait la nature anti-populaire et anti-africaine de Mobutu, mais aussi parce que Museveni voulait étendre l’influence économique ougandaise dans le Nord-Est du Zaïre. Dès que la lutte révolutionnaire a été lancée par Mzee, l’Angola, pays qui a une grande expérience révolutionnaire, a soutenu l’Afdl dans le but d’éliminer radicalement le système mobutiste, qui, depuis toujours, a nourri et maintenu en vie l’Unita. Le Zimbabwe de Mugabe, pays anti-impérialiste conséquent, est également venu en aide aux nationalistes congolais. Ainsi, pour la première fois depuis 1960, une conjoncture nouvelle est apparue au centre de l’Afrique, favorable aux forces nationalistes. Il fallait un homme de l’expérience et de la fermeté de Laurent Kabila, pour pouvoir tirer tout le profit de cette situation exceptionnelle. Mzee Kabila a formé cette large alliance avec le Rwanda, l’Angola, l’Ouganda, le Zimbabwe et les Etats-Unis dans le seul but de pouvoir développer au Congo de façon autonome des forces armées populaires. Ce qui comptait avant tout pour Mzee, c’était la formation d’une armée populaire et le soutien des masses, dégoûtées d’une «Transition» soi-disant «démocratique», mais qui a maintenu au pourvoir les forces de la dictature et qui a ruiné les masses. Le revenu par tête avait chuté entre 1990 et 1997 de 295 dollars par tête à 135… D’aucuns disent que Kabila était le moindre mal par rapport à Mobutu et les Occidentaux se sont servi de lui pour faire partir Mobutu, ensuite pour l’éloigner parce que «révolutionnaire». Avez-vous un commentaire à faire ? Non, les Occidentaux étaient divisés : la France était avec Mobutu, les Etats-Unis avec les forces populaires et révolutionnaires. C’était étrange. En fait, les Etats-Unis étaient convaincus qu’ils avaient Kabila sous leur contrôle, que Kabila n’aurait d’autre choix que d’accepter la «tutelle» américaine, comme Museveni, cet autre ancien révolutionnaire, l’a fait. C’est à partir de l’entrée en guerre de l’Angola et de la prise de Kisangani le 15 mars 1997, que les Américains ont compris que Kabila a été plus malin qu’eux. Kabila possédait maintenant des forces autonomes et des alliés fiables qui lui permettaient de marcher sur Kinshasa et de balayer de fond en comble la dictature néocoloniale. L’opposition des Etats-Unis et de l’Afrique du Sud aux nationalistes congolais date de ce moment précis. Les Etats-Unis ne pouvaient plus «éloigner» le révolutionnaire Kabila. Mais ils ont tenté de l’enfermer dans une majorité néocoloniale. Leur formule a toujours été : le partage du pouvoir à Kinshasa avec la formule «un tiers de mobutistes, un tiers de soi-disant ‘opposants’ à Mobutu et un tiers de kabilistes». En clair, minoriser les nationalistes pour les rendre impuissants, puis les corrompre et les acheter pour obtenir une large majorité néocoloniale. Et rien de fondamental ne changerait. Mais Mzee avait toujours réussi à déjouer ces complots, réussissant finalement à installer un gouvernement à majorité nationaliste au Congo. Mzee allait organiser des élections en 1999 et les Américains savaient qu’il allait les gagner haut la main. La guerre d’agression du 2 août avait pour but d’éliminer Kabila et son pouvoir en deux mois au maximum. Mais les Américains échouèrent lamentablement. Pire : Kabila allait, grâce à une guerre qui impliquait tout le peuple, réussir à chasser les agresseurs. Aux Américains, il ne restait qu’une issue : l’assassinat de Mzee. Et nous avons eu le 16 janvier 2001… Croyez-vous que l’idéologie «socialiste», pour ne pas dire communiste, a encore de l’impact en ces instants marqués par les effets tragiques de la mondialisation ? L’anti-communisme a toujours été l’arme idéologique la plus vicieuse et la plus féroce des impérialistes. Parce que depuis 1948, depuis la publication du Manifeste du Parti Communiste de Marx et d’Engels, seul le mouvement populaire inspiré par la théorie révolutionnaire a pu ébranler et vaincre le capitalisme, en Russie d’abord, dans les pays de l’Europe de l’Est, en Chine, au Vietnam, en R.D.P. de Corée et à Cuba ensuite. La colonisation mentale en Afrique, en Amérique latine et en Asie a toujours pris la forme de l’anti-communisme virulent. Lumumba était un patriote honnête et conséquent qui luttait pour le démantèlement de tout le système colonial et néocolonial. Il fut attaqué comme «communiste», ce qu’il n’était pas….mais ce qu’il n’allait par tarder de devenir… Lumumba a été assassiné avant qu’il ne puisse s’accomplir cette évolution logique. On sait que le maître à penser de Lumumba était Kwame Nkrumah. Lui aussi se disait nationaliste conséquent, mais pas communiste. Il a fallu le coup d’Etat monté contre lui par les Etats-Unis pour que Nkrumah comprenne que seul la doctrine marxiste-léniniste est de façon conséquente anti-impérialiste et anti-capitaliste. Il dira alors : «Je suis un marxiste et un socialiste scientifique. Le léninisme est une application du marxisme à la réalité russe. J’ai beaucoup de respect pour Lénine et le léninisme, j’en ai appris beaucoup.» Il n’y a pas de doute que Lumumba aurait suivi l’évolution de son aîné Nkrumah. La contre-révolution en Union Soviétique est un processus qui a été initié depuis 1956 par Khrouchtchev. Tous les principes révolutionnaires ainsi que la pratique révolutionnaire ont été progressivement dénaturés, puis liquidés par des opportunistes dont certains étaient en liaison directe avec les services secrets occidentaux. En 1989, ces gens affirmaient que la croissance de l’Union soviétique n’était que d’un pour cent et que cela était intenable. Pour sortir de la crise, il fallait changer de système. C’est ce que la contre-révolution de Gorbatchev a réalisé. Et de combien a été alors la croissance ? En 1993, le PIB de la Russie avait chuté de 54 %, la plus grande destruction qu’un pays industrialisé ait jamais connue. Le Premier ministre russe, Primakov, avouera: «40 % des entreprises russes sont aux mains de la maffia». La population de l’ ex-Union Soviétique a chuté en huit années de 10 millions d’habitants : un véritable génocide dû à la chute des naissances et à la flambée de la mortalité. Et l’ex-Union Soviétique et les anciens pays socialistes «produisent» maintenant des centaines de milliers de prostituées, «exportées» en Europe de l’Ouest. Tôt ou tard, de nouvelles révolutions socialistes éclateront dans tous ces pays. La barbarie impérialiste que nous vivons actuellement n’est pas «la fin de l’histoire», elle sera le point de départ de luttes révolutionnaires d’une ampleur jamais vue dans l’histoire. Que dites-vous de ce partenariat que d’aucuns préconisent entre les pays industrialisés et les pays d’Afrique ? Un partenariat s’établit entre égaux. Or, les puissances impérialistes traversent toutes des crises profondes, de plus en plus aigues. Quand je retourne pour quelques semaines en Belgique, je suis chaque fois choqué par la dégradation accélérée des conditions de vie de la population. Pour atténuer les crises chez elles, les puissances impérialistes cherchent au tiers monde et en Afrique les profits maximaux. Si vous enfermez un lion affamé et une antilope dans une même cage, quelle sorte de «partenariat» va s’établir entre eux? Mzee a voulu établir des relations économiques avec tous les pays du monde sur un pied d’égalité et avec des avantages mutuels. Ce sont les Occidentaux qui ont refusé de financer le Plan Triennal réaliste établi de façon indépendante par les spécialistes congolais. Pour les trois années, Mzee demandait moins qu’un milliard de dollars. Et cela aurait permis au Congo de démarrer. L’Occident a refusé. Ils savaient que Mzee allait réussir. Mais ce même Occident avait dépensé plus de 2 milliards pour entretenir plus d’un million de génocidaires et réfugiés hutu, établis le long de la frontière rwandaise du côté congolais. Et actuellement, pour la Monuc, les puissances occidentales dépensent par an un milliard de dollars… la somme du Plan Triennal… Comment l’Afrique peut-elle se sauver et se développer ? Mzee a répondu à cette question le 29 juillet 1998 lors du troisième sommet de la Comesa, la Conférence du Marché Commun de l’Afrique de l’Est et Australe. «Notre pays s’est donné pour vocation africaine d’exporter la paix, la sécurité et le développement ». « Nous devons considérer le marché Comesa comme l’horizon de notre survie et comme la pierre angulaire de notre participation à l’économie mondiale. » « Nous devons créer de manière concertée et coordonnée une base économique régionale sociale, sur laquelle pourront s’appuyer les plans de reconstruction et de développement de nos pays. Sans une base économique maîtrisée de cet ordre, nous serons davantage fragilisés, manipulés et nous répondrons isolément et sans réalisations majeures aux espérances et aux défis que nos justes luttes de libération ont fait naître chez nos peuples ». Mzee Kabila a prôné également un partenariat sur base d’égalité et d’avantages mutuels avec tous les pays du monde. En décembre 1997, il est parti avec 10 ministres en Chine et il a signé des accords très avantageux pour le Congo. En effet, les deux pays se complètent à merveille : le Congo a d’immenses réserves de matières premières qui manquent cruellement à la Chine. Et la Chine peut livrer toutes les machines et technologies nécessaires pour industrialiser le Congo. Il faut savoir que la Chine était plus misérable que l’Afrique en 1949 ! En un demi-siècle, la Chine, en comptant essentiellement sur ses propres forces, est devenue une grande puissance qui fait respecter son indépendance. Tout Congolais qui a visité la Chine est épaté. Et ce que les Chinois ont pu réaliser, pourquoi les Congolais ne pourraient-ils pas le faire? PROPOS RECUELLIS PAR F. MULUMBA ET F. MONSA
21 janvier 2011