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28 juin 2010

JOSEPH KI-ZERBO : Un cerveau rebelle ! jeudi 21

JOSEPH KI-ZERBO : Un cerveau rebelle !

jeudi 21 décembre 2006

Lui a écrit l’histoire de l’Afrique, mais d’autres écriront la sienne. C’est plutôt un concert d’éloges qui ne cessent de saluer la mémoire de Joseph Ki-Zerbo, décédé le 4 décembre dernier. Un seul tome ne pourrait contenir l’histoire de l’éminent professeur, et Basile L. Guissou apporte sa contribution à ce qui constituera une bibliothèque pour les générations présentes et futures.

Introduction : « Le savant et le politique » (1)

Ce titre est celui d’un livre de Max Weber, le père de la sociologie politique européenne, dans lequel il tente de faire la différence entre le chercheur et l’homme politique. Le professeur Joseph Ki-Zerbo, décédé le 4 décembre 2006 à Ouagadougou, est un exemple et un « cas d’école » en la matière.

Pour moi, il est d’abord un savant avant d’être un homme politique burkinabé. A tort ou à raison (cela relève du jugement subjectif), il a librement choisi d’être un leader politique, en créant et en dirigeant son parti, le Mouvement de libération nationale (M.L.N.), en 1958.

Mon analyse, ici, refuse de suivre et d’apprécier (positivement ou négativement) l’action politique de l’homme politique sur la scène politique du Burkina Faso, entre 1958 et les années 2000.

Etant un militant politique aux opinions connues, cela ne servira strictement à rien de ressasser mes divergences idéologiques et politiques avec mon papa et mon Maître en matière de recherche scientifique. Dans les lignes qui suivent, c’est l’historien- chercheur et le savant qu’est devenu Joseph Ki-Zerbo que nous allons apprécier. A ce niveau, il a été, au sens propre comme au sens figuré, « un cas à part ».

l - L’éternel « refusard » !

Très peu de commentaires de presse (écrite, orale et télévisuelle) qu’il m’a été donné d’entendre, de lire ou de voir ont réellement insisté sur le nom et le mot « SAVANT ». A mes yeux, c’est l’essentiel pour rendre hommage à l’homme de science qu’il a été et qu’il restera.

Pour avoir participé à l’équipe internationale des chercheurs rassemblés par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) afin d’écrire les huit (8) volumes de l’Histoire générale de l’Afrique, et pour avoir été le Directeur du volume premier, comment peut-on hésiter une seconde à dire qu’il a cherché et a trouvé, donc qu’il est un SAVANT ?

C’est un grand hommage et une reconnaissance mondiale qui lui ont été rendus de son vivant par les chercheurs, historiens et savants du monde entier. Cette reconnaissance en a fait un savant comme tous les autres, et son pays doit en tirer une légitime fierté.

Son parcours intellectuel est marqué par cette qualité (ou défaut ?) de l’éternel « refusard », qui reste une caractéristique de tous les grands esprits, impossibles à domestiquer et à réduire au silence par un statut social enviable et envié par tous.

Un rappel historique est indispensable pour situer Joseph Ki-Zerbo dans son contexte des années 1940/50. Lorsqu’il se présentait en candidat libre au BEPC, au BAC, à la Licence puis à l’agrégation en Histoire, ce parcours était officiellement et pratiquement interdit aux « Nègres indigènes ».

Les petits Nègres colonisés par la France et qui fréquentaient l’école primaire indigène devaient, après l’obtention du Certificat d’Etudes Primaires indigènes, s’inscrire aux écoles primaires supérieures de Katibougou (actuel Mali), Bingerville, (actuelle Côte d’Ivoire), Saint-Louis et « William Ponty » (Sénégal).

Le diplôme d’une de ses écoles marquait la fin du cycle de la formation par le savoir dispensé dans les colonies. Ahmadou Hampathé Bâ (2), jeune « écrivain temporaire essentiellement précaire et révocable » de l’administration coloniale française, arrive en 1922 à Ouagadougou et il écrit ceci : « Sous l’effet de la colonisation, la population de l’Afrique occidentale française (AOF) s’était divisée automatiquement en deux grands groupes, eux-mêmes subdivisés en six classes qui vinrent se substituer aux classes ethniques.

Le premier était celui des citoyens de la République française, le second celui des simples sujets... Le premier groupe était divisé en trois classes : les citoyens français pur-sang, nés en France ou européens naturalisés Français, les citoyens français des « quatre communes de plein exercice » du Sénégal (Gorée, Saint-Louis, Dakar, Rufisque) ; enfin, les Africains naturalisés citoyens français.

Tous jouissaient des mêmes droits (en principe) et relevaient des tribunaux français. Le second groupe, celui des sujets, comprenait à son tour trois classes : au sommet... les sujets français du Sénégal, qui jouissaient d’une situation privilégiée par rapport à ceux des autres pays... puis venaient... les sujets français « lettrés » (c’est-à-dire scolarisés ou connaissant le français) et les sujets français « illettrés » (uniquement du point de vue du français, cela va de soi)...

Du point de vue de la division « officielle » des classes, j’étais un sujet français lettré, né au Soudan et non au Sénégal, donc juste au-dessus de la dernière catégorie. Mais selon la hiérarchie indigène, j’étais incontestablement un Blanc-noir, ce qui, on l’a vu, nous valait quelques privilèges, à cette réserve près qu’à l’époque, le dernier des Blancs venait toujours avant le premier des Noirs... ».

C’est justement cette « hiérarchie » que Joseph Ki-Zerbo refusait par son entêtement à dépasser les barrières coloniales, à la recherche de « toujours plus de connaissances et de savoir » pour consolider sa personnalité, son identité culturelle et historique, pour « être en soi et pour soi », sans la tutelle humiliante des autres.

Ki-Zerbo a eu l’intelligence, le courage et la persévérance pour contourner toutes les barrières racistes de son époque et avancer. Il a voulu maîtriser à son profit ce que Cheick Amidou Khane appelait dans son roman « L’aventure ambiguè » : « savoir vaincre sans avoir raison ».

Fils de paysan catéchiste catholique, il a pu accéder au Temple français du Savoir qu’était l’Université de Paris (Sorbonne) pour y être consacré agrégé en histoire. Il fallait le faire et il l’a fait avec brio !

A ce stade déjà, une « brillante carrière » était grassement assurée, mais le « cerveau refusard » va plutôt du côté où il ne fallait pas aller pour être « bien vu » et « bien apprécié » : Ki-Zerbo est à Paris un militant actif des associations d’étudiants africains en France, qui « faisaient la politique » et dénonçaient le système colonial.

Amady Aly Dieng(3), ancien président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), écrit : « En octobre 1950, l’Association des étudiants guinéens en France a été déclarée à la préfecture de police de Paris.

Le 16 juillet 1950, les étudiants voltaïques ont déclaré à la préfecture leur association sous le nom d’Association des étudiants de la Haute-Volta en France (A.E.V.F.) qui a été dirigée en 1951 par Joseph Ki-Zerbo, assisté de Pascal Pafadnam, vice-président.

« Cette association ne semble pas avoir de but politique ; elle constitue simplement le foyer des étudiants voltaïques : elle a pour objectif l’aide morale et matérielle à ses membres », précise un rapport de police... ».

Ce rapport de police passe totalement « à côté » de ce que les étudiants africains recherchaient à l’époque, en créant, le 30 décembre 1950, à Bordeaux, la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF). Ils se voulaient être « la bouche qui crie la misère des peuples africains ! » et apprendre à devenir « des cadres techniquement compétents et politiquement conscients ».

C’était tout un programme de lutte politique qui exigeait une très longue et difficile préparation, organisation et mise en œuvre pratique, au sortir des universités et écoles supérieures françaises.

La FEANF des Joseph Ki-Zerbo, Amadou Matar M’Bow, Abdoulaye Wade et Cheikh Anta Diop, comme la West-African student’s Union (WASU) des Olesegun Obasanjo (actuel Président de la République fédérale du Nigeria) et autres, n’ont pas failli. Ces deux organisations ont rempli vaillamment et avec succès leur mission historique.

Elles ont donné le minimum de conscience politique patriotique africaine à leurs militants. Et, à ce niveau encore, Joseph Ki-Zerbo allait se singulariser.

L’éternel « refursard », face aux révolutionnaires marxistes-léninistes et aux réactionnaires qui voulaient maintenir l’Afrique dans la communauté « franco-africaine » du Général Charles De Gaulle (Président de « l’Empire français sur lequel le soleil ne se couche jamais » !), va choisir le réformisme comme ligne politique.

Son « socialisme africain » n’avait aucun espace sociologique, culturel et politique pour s’enraciner au sein des populations. C’était son choix pour se tenir à équidistance entre la révolution et la réaction. Ni révolutionnaire, ni réactionnaire, le Mouvement de libération nationale (MLN) fera la campagne électorale du référendum du 28 septembre 1958 en appelant à voter NON !

Mais c’est le OUI qui l’emporte en Haute-Volta (actuel Burkina Faso) et dans toutes les colonies à l’exception notable de la Guinée-Conakry, où le syndicaliste Ahmed Sékou Touré et ses Camarades réussissent à vaincre la machinerie colonialiste, chargée d’imposer le vote du OUI.

Il faut lire le livre de Pierre Mesmer (4), « les Blancs s’en vont », pour savoir et comprendre tout ce qui a été fait par la France comme « tripatouillages des listes électorales », « intimidations verbales et physiques », « actions terroristes commandées » pour obtenir le vote « démocratique » du OUI dans la majorité des pays de l’ex-Afrique Occidentale française (AOF), dont il était le dernier gouverneur en poste.

L’auteur de cet article a été témoin, à Yamoussoukro (Côte- d’Ivoire,) des révélations de Félix Houpouèt-Boigny, au 40e anniversaire de la création (le 16 octobre 1946) du Rassemblement démocratique africain (RDA), en octobre 1986.

Pendant deux (2) heures, Houphouèt a raconté comment le ministre d’Etat du Gouvernement français du Président Charles De Gaulle qu’il était en 1957/58 a manœuvré en Haute-Volta pour éviter la « débâcle programmée » de son Parti (le RDA) face au Mouvement démocratique voltaïque (MDV) du capitaine français Michel Dorange et de ses « poulains politiques locaux », Gérard Kango Ouédraogo et Maurice Yaméogo.

Bref, disons que les jeux étaient faits d’avance. Frédéric Fernand Guirma(5), chroniqueur et polémiste burkinabé, a très bien relaté ces épisodes de la vie politique nationale de notre pays, entre 1950 et 1966 dans son livre « Comment perdre le pouvoir ? La chute de Maurice Yaméogo ».

Joseph Ki-Zerbo, éternel « refusard », va connaître sa première « défaite politique » électoraliste selon les mots d’un de ses fidèles lieutenants, Ahmadou Dicko, professeur d’espagnol, qui a écrit un livre, « Journal d’une défaite » (6). Le référendum du 28 septembre 1958 était un piège politique dans lequel il ne fallait pas tomber.

De Gaulle n’était pas historiquement fondé à proposer l’Indépendance. Les Vietnamiens l’avaient très bien compris. Ils ont lutté et ont arraché leur liberté les armes à la main, contre De Gaulle et les USA, pendant vingt-cinq (25) ans.

II - « L’encre du savant est plus sacrée que le sang du martyr »

Les fidèles musulmans cultivés sauront que cette phrase est celle de leur Prophète, qui demandait à ses fidèles d’aller le plus loin possible à la recherche du savoir, même s’il fallait pour cette cause-là abandonner femmes et enfants ! C’est à ce niveau que tout le mérite de Joseph Ki-Zerbo apparaît au grand jour.

Entre le savoir scientifique et la politique active, il a toujours su et il a toujours pu privilégier la science et la recherche scientifique, jusqu’à ces derniers jours. Tous ceux qui ont lu son dernier livre, « A quand l’Afrique ? » (7), auront compris que ce fut son « testament ». A toutes les questions que le journaliste lui posait il avait une réponse à deux niveaux, celui du « politique » et celui du « savant ».

Le savant démontrait, preuves historiques à l’appui (les exemples du Roi du Congo en visite au Portugal ou le sort des industries africaines de fabrication d’armes au XIXe siècle), comment le continent a été « vaincu » par l’esclavage et la colonisation européenne. Le « politique » cherchait ses mots pour expliquer ces démêlées avec Thomas Sankara, Président du Conseil national de la Révolution, entre 1983 et 1987.

L’ancien Secrétaire général du Conseil africain et malgache de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (CAMES) et le Président fondateur du Parti réformiste (MLN) avaient une cohabitation difficile dans le cerveau rebelle du professeur Ki-Zerbo. Mais, il a su chercher et trouver le « plus petit commun dénominateur » entre les deux, pour vivre pendant 84 ans, « la tête haute ». C’est du mérite. Il faut le lui reconnaître.

Pour ce qui est de sa contribution à la réhabilitation historique du continent « mère de l’humanité », en tant que chercheur, historien et savant, Joseph Ki-Zerbo vient de rendre sa copie, le 4 décembre 2006. Qui va donner la note pour apprécier son héritage scientifique ? Pas moi en tous cas ; parce que pour noter, il faut être « le professeur du professeur ». Je ne peux pas avoir cette prétention.

Mais, je peux faire le constat qu’il a mérité sa place dans le « panthéon » des hommes de savoir (savants) qui ont travaillé et réussi la tâche de rétablir l’histoire de l’Afrique et des Africains à leurs justes places, dans l’Histoire générale de l’humanité.

Tous ceux qui ont pris la peine de lire les livres de Joseph Ki-Zerbo seront d’accord avec moi pour reconnaître qu’il a réussi à réconcilier l’Afrique avec elle-même, en rendant compréhensible et explicable « la descende aux enfers » du continent depuis la décadence de « l’Egypte des pharaons », l’esclavage, la conquête coloniale, qui a interdit le savoir aux indigènes pour imposer le monopole de la connaissance et du savoir scientifique européen.

L’Afrique a été et reste dominée et complexée à travers des « élites fabriquées par l’Europe », convaincues de la supériorité scientifique de l’Europe, qui prônent la « soumission éternelle à l’ordre des Blancs ».

Comme Cheikh Anta Diop et Amadou Matar M’Bow (ancien Directeur général de l’UNESCO), le professeur Joseph Ki-Zerbo reste un « éclaireur de conscience » pour les générations présentes et futures du continent africain. Il nous enseigne l’esprit de lutte, de résistance et de recherche du « savoir utile » au profit de nos peuples.

Ses livres comme « l’Histoire générale de l’Afrique », « Eduquer ou périr », « La natte des autres », et « A quand l’Afrique ? » sont des classiques pour la formation des élites intellectuelles d’aujourd’hui et de demain. Les lycées et les universités du Burkina Faso et de l’Afrique devraient les inscrire dans les programmes d’enseignement.

Ce sont des ouvrages « fondamentaux » à enseigner. La confiance en soi, l’assurance de posséder une identité culturelle, historique et scientifique viendra de là et de nulle part ailleurs.

Quel que soit le bout par lequel les futures « refondations » ou « réformes » des systèmes éducatifs se feront, on ne pourra pas ignorer la contribution de l’éminent « inspecteur d’académie », directeur des services du ministère de l’Education nationale, monsieur Joseph Ki-Zerbo, qui a signé mon Brevet d’études du premier cycle du second degré (B.E.P.C.) à Ouagadougou, le 19 octobre 1966.

Et c’est le 16 octobre 1979, que je prenais fonction, en qualité de « professeur titulaire du doctorat du 3e cycle en lettres modernes » (option critique sociologique), chercheur au département des sciences sociales et humaines du Centre voltaïque de la recherche scientifique.

Le professeur de linguistique Bakary Coulibaly (un farouche militant du M.L.N.) venait de refuser de m’accepter comme enseignant à l’Université de Ouagadougou, parce que j’étais « un élément communiste, hostile au M.L.N. ». Je ne m’en plains pas. Il m’a rendu service en voulant me nuire, comme ça arrive très souvent à ceux qui adorent les « règlements de comptes politiques » à travers des positions de « pouvoirs administratifs ».

Avant cela, nombreux sont les anciens militants de l’UGEV/FEANF des années 1970/80 qui ont été malmenés par des aînés « réformistes impénitents du Mouvement de libération nationale » à cause de leurs idées politiques dans la Haute-Volta, où tout le monde connaissait tout le monde.

Le gouvernement révolutionnaire dont j’étais membre pendant quatre (4) ans (1983- 1987) a malmené aussi Joseph Ki-Zerbo pour le contraindre à l’exil. Depuis là où il se trouve aujourd’hui, il sait aussi que le ministre des Relations extérieures et de la Coopération, Basile Laetare Guissou, a demandé à le rencontrer à New York (USA) dans les locaux de l’O.N.U. en 1986, alors qu’il venait de perdre sa mère.

C’est Léandre Bassolet, à l’époque ambassadeur du Burkina auprès de l’ONU, qui m’a aidé à obtenir le rendez-vous. J’ai dit ce jour au professeur ceci : « Vous êtes un bien national et votre place n’est pas ailleurs que dans votre patrie.

Je m’engage à titre personnel, si vous me donnez l’autorisation de le faire, pour que vous puissiez vous incliner sur la tombe de votre mère ». Le « vieux » a pleuré et moi aussi j’ai pleuré.

Conclusion : adieu au « Maître » !

Nous, les apprentis encore en activité dans les différents secteurs et les différents domaines de la recherche scientifique, nous sommes obligés de poursuivre dans la voie que notre Maître a tracée. C’est lui-même qui disait que « C’est l’imbécile qui ne fait pas mieux que son père ». Les chercheurs burkinabè doivent savoir relever le défi que le professeur Joseph Ki-Zerbo leur lance, en suivant son exemple d’humilité, de simplicité et de respect de l’autre.

Avec le capital scientifique que le Maître nous laisse, nous ne pouvons pas manquer de confiance en nous-mêmes. La sagesse mooaga enseigne qu’on ne peut pas être apparenté au singe et avoir son bâton définitivement accroché à la branche d’un arbre.

Il reste donc tout à fait compréhensible que, sans aucun sentiment de nationalisme exacerbé, la communauté scientifique du Burkina Faso (les historiens en tête) s’organise, réfléchisse et trouve les voies et moyens par lesquels valoriser au mieux, pour nous-mêmes et pour les générations futures, le « Trésor » que notre « Laboureur national » doit avoir caché sur les 274 200 kilomètres carrés du Faso et dans ses livres.

Il me parait évident que l’action politique a énormément diminué l’aura scientifique de Joseph Ki-Zerbo. Il a été comme il a été. Nul n’y pouvait rien. C’était son libre choix. Il est impossible de dissocier « le savant » et « le politique » pour rendre un hommage à Joseph Ki-Zerbo. Il a été les deux à la fois.

Dans sa préface du livre de son camarade, « Journal d’une défaite », Ki-Zerbo dit : « ...Aujourd’hui, encore plus qu’hier, les mêmes questions restent posées à l’Afrique avec une urgence dramatique, car le poids relatif du continent dans le rapport de force planétaire se détériore.

Cinq problèmes particulièrement lourds de conséquences interpellent l’énergie des Africains :

1°) la question nationale ou identitaire ou encore, historico-culturelle. Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Quelle doit être notre place dans le monde ? Qu’avons-nous à dire et à faire ?

2°) la question du cadre ou de l’espace de base. Comment aménager l’espace environnemental et économique africain par la division interafricaine du travail et par la constitution d’un pôle mondial de production et d’échanges ?

3°) la question de la voie démocratique et sociale. Quel Etat et pour quelle société civile ? Il s’agit d’inviter le peuple à occuper son trône de souverain. Et, s’il faut déloger du trône son usurpateur, de se donner les armes de la raison et au besoin la raison des armes politiques pour le faire ;

4°) pour cela, une révolution copernicienne de l’éducation, de la formation et de la communication s’impose ; afin de replacer là aussi le peuple au centre du système ; afin que le pouvoir du savoir soit la chose du monde la mieux partagée, et non le privilège de ceux qui exploitent la synergie du pouvoir, de l’avoir et du savoir ;

5°) enfin, il importe non pas de multiplier quantitativement les liens avec le reste du monde, mais d’en changer la nature ; en remplaçant le rôle auxiliaire de l’Afrique ustensile, par un rôle de sujet participant activement à la confection et à la réalisation du scénario de demain.

A quel prix peut être provoquée cette mutation qualitative ? D’un côté, il semble qu’il faudrait remuer des montagnes.

De l’autre, il suffit d’une poignée d’idées claires et justes et d’une poignée de femmes et d’hommes décidés à se faire les vecteurs d’une passion plus précieuse que l’or et plus impérissable que le diamant : l’impératif de la dignité pour les peuples africains, dans la solidarité et la coresponsabilité avec les autres peuples du monde. Un savant de l’antiquité l’a dit : « Donnez-moi un levier et je soulèverai le monde ». Le levier en l’occurrence, c’est quelques centaines de militants comme Ahmadou Abdouillahi Dicko (Joseph Ki-Zerbo) » .

Où est le « savant » et où est « le politique » dans cette analyse et dans ces propositions ? Joseph Ki-Zerbo a été un chercheur en sciences sociales et humaines qui a beaucoup trouvé et publié. Il est devenu ce que tout chercheur veut être : un savant. Moi aussi, je fais le même métier que lui, tout en sachant que c’est lui le Maître. Sur le terrain politique, là, lui, il a choisi « la réforme » et moi « la révolution ».

Ce sont deux choix inconciliables. Alors, adieu Maître !

Ouagadougou, le 13 décembre 2006

Par Basile L. Guissou Maître de recherche en sociologie politique à l’INSS/CNRST Ancien ministre du Conseil national de la Révolution (1983-1987) 1- Weber, M. 1959. Le savant et le politique. Paris : Plon 2- Bâ, A. H. 1996. Oui, mon Commandant ! Paris : Actes Sud Babel. p. 241. 3- Aly Dieng, A. 2003. Les premiers pas de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) 1950-1955). De l’Union française à Bandoung. Editions l’Harmattan. Paris (France) 374 pages. 4- Mesmer, P. 1998. Les Blancs s’en vont. Paris : Albin Michel. 5- Guirma F. F. 1991. Comment perdre le pouvoir ? Le cas de Maurice Yaméogo. 6- Dicko, A. A. 1992. Journal d’une défaite. L’Harmattan. Dag Hammarskjôld Foundation. Paris (France) 127 pages 7 - Ki-Zerbo, J. 2003. A quand l’Afrique ? Editions de l’Aube. Paris (France) 200 pages.

Observateur Paalga

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